Vers la bataille: en quête de développement personnel

Le spectateur émancipé

Pour son premier film, Aurélien Vernes-Lermusiaux nous entraîne dans le conflit qui opposa le Mexique à la France dans les années 1860. Son personnage principal, un photographe, Louis, a réussi à convaincre un général français de le laisser prendre des photos du conflit. Accablé par l’infortune, il va sillonner un pays aux contours incertains, sans jamais réussir à prendre un cliché de cette guerre qui fait rage et s’obstine à lui échapper.

Artiste à contretemps, cadre interchangeable

La figure de l’artiste à contretemps, embarqué dans une quête donquichottesque pour immortaliser le spectaculaire de la guerre, avait de quoi convaincre sur le papier. Malheureusement, le réalisateur s’égare lui-aussi mais dans sa virtuosité cinématographique. Tout est impeccable, la photographie est sublime, les plans magnifiquement composés et pourtant, cela ne parvient pas à exorciser une certaine lourdeur que l’on ressentira tout au long du film. C’est parce qu’à l’inverse de son héros, Vernes-Lermusiaux cherche à fixer sur la pellicule un concentré de temps suspendu, en faisant la part belle à l’exotique altérité des paysages mexicains. Sauf que le Mexique n’est jamais véritablement incarné, aucun de ses spécificités n’est mise en valeur par le film et l’intrigue pourrait très bien se dérouler dans un autre pays. Cette remarque vaut aussi pour la guerre dont les participants sont renvoyés dos à dos, sans que l’on ne sache jamais pourquoi ils se battent. Il s’agit pourtant d’une guerre qui mériterait d’être contextualisée : si les Français ont tenté d’envahir le Mexique entre 1861 et 1867, c’était pour donner au capitalisme naissant du Second Empire des débouchés économique et contrebalancer l’influence des Etats-Unis d’Amérique. Mais tout ceci est superbement ignoré pendant tout le film au profit de la quête existentielle du héros, qui finira par s’adjoindre les services d’un habitant, Pinto.

Une errance dans la dévastation © Noodles Production

La centralité du trauma bourgeois

C’est au contact de ce paysan mexicain, qu’il s’humanise et révèle l’objet de son aventure : si la prise d’images violentes l’obnubile, c’est qu’il est littéralement hanté par la mort de son fils survenu au cours de la guerre de Crimée, un autre conflit impérialiste. Petit à petit, il comprend que son obsession est mortifère et souhaite réorienter sa pratique de la photographie. Cela donne lieux à un des beaux moments du film où il démonte son lourd appareil photo et en explique les rouages à Pinto, pour que celui-ci puisse à son tour prendre des photos. Cependant, cette rédemption se fait sur le dos des souffrances de ce personnage qui a perdu sa mère et veut retrouver sa famille et plus largement de celle des mexicains et des mexicaines victimes du conflit. Le spectateur aura ainsi droit à une scène où Louis s’effondre en larmes devant les corps encore chauds des villageois massacrés par ses compatriotes. Qu’espérait-il voir d’autre ? Étrange réaction de la part d’un photographe de guerre qui au tout début du film n’avait pas hésité à tirer le portrait d’un ouvrier venant de mourir dans l’effondrement d’une mine ou d’une fonderie. Les implications de ces gestes ne sont jamais discutées ou résolues, simplement présentés comme des symptômes d’un trouble de l’âme. Sa relative indifférence vis-à-vis du sort d’autrui, en particulier des dominés, renvoie à sa propre situation sociale.  Louis appartient à la petite bourgeoisie et n’a pas accompli ce voyage pour le profit, non, il est bien au-dessus de ces basses considérations matérielles puisque le sort l’a rendu prospère. C’est pourtant sa douleur qui occupe la place centrale et reléguera à la périphérie les vicissitudes de la guerre. Il y aurait pu avoir un questionnement sur la nature des images et les effets qu’elles produisent mais Vernes-Lermusiaux l’esquisse sans jamais l’explorer. L’année dernière, le film mexicain, Je ne suis plus là, nous avait montré comment certains preneurs d’images peu scrupuleux exploitaient leur sujet. Son protagoniste, un amateur de cumbia colombienne, au look atypique, se laisse prendre en photo par un Américain qui va probablement revendre les clichés à un journal. Un vampirisme marchand, donc.  

Se repaître de la souffrance prolétarienne sans s’interroger sur son origine © Noodles Production

Se sacrifier sur l’autel du développement personnel

Ici, qu’importe les vies des êtres que l’on croise, ce qui compte pour notre artiste traumatisé, c’est d’acquérir un supplément d’âme. Quitte à sacrifier son propre foyer et sa propre existence. Tout au long du film, nous le verrons envoyer des lettres à sa femme, figure de la domesticité figée sur un portrait fait par son mari. Nous avions envie de dire que Louis a quelque chose de prométhéen, il fait un peu penser au héros-démiurge de Mary Shelley, Victor Frankenstein, qui, dans son désir d’outrepasser les limites de la science humaine, provoquera la mort de tous les êtres qui lui sont chers, assassinés par cette créature qu’il rejettera égoïstement. Mais non, rien d’aussi grandiose ici, le film reflète simplement les errances d’une certaine classe bourgeoise à la recherche d’un « développement personnel », d’un éveil. Surmonter son deuil en se repaissant de la dévastation semée par une entreprise impérialiste sur les corps, voilà qui aurait constitué une belle entrée dans l’anthropologie bourgeoise. Vernes-Lermusiaux n’a pas emprunté cette voie et n’en choisit aucune d’ailleurs, à part peut-être le motif familial qui charpente maladroitement un film prometteur en apparence.

H.D

Pour prolonger la soirée:

  • Un trailer du film The Square qui dresse un portrait grinçant de la bourgeoisie progressiste, à travers un conservateur de musée, qui lance une nouvelle exposition basée sur un carré à l’intérieur duquel tout le monde doit être bienveillant et sympathique: https://www.youtube.com/watch?v=EUzRjRv0Ib0

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